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Les offres de services énergétiques en France :  un marché dynamique, mais davantage tourné vers le secteur tertiaire


Publié le 14 Juin 2022



Dans le cadre de son  étude analysant le marché des services énergétiques aux particuliers basés sur les données de consommation électrique, Think Smartgrids a mené un entretien avec l’ADEME, agence française de l’environnement. Etienne Latimier et Nadine Berthomieu dressent un état des lieux des projets soutenus par l’ADEME pour accompagner la maîtrise de la demande d’énergie grâce aux données.  

 

Entretien avec Nadine BERTHOMIEU & Etienne LATIMIER, ingénieurs smart grids au service Réseaux et Énergies Renouvelables de l’ADEME, l’agence de la transition énergétique.

 

Quelles sont les actions de l’ADEME pour encourager l’usage des données pour la maîtrise de l’énergie ?

Etienne Latimier : L’ADEME joue surtout un rôle pour informer les consommateurs et soutenir des innovations pour la maîtrise de la demande d’énergie, qui peut viser à la fois la réduction et la modulation de la consommation. L’ADEME accompagne surtout les innovations en phase de démonstration technique.

Nadine Berthomieu : Les appels à projets organisés par l’ADEME visent à tester les technologies, leur viabilité et leur capacité à répondre à un marché, avant leur mise en œuvre. Les projets sélectionnés ont ainsi déjà fait l’objet d’une analyse de marché en amont et atteint une certaine maturité, avec un niveau de maturité technologique (ou TRL) compris entre 4 et 7. Le domaine d’intervention de l’ADEME ne porte pas sur les étapes qui suivent, soit les phases de commercialisation et de massification du produit.

Est-ce que l’ADEME distingue des tendances dans les services énergétiques innovants qui émergent et passent à l’échelle ?

N. Berthomieu : Les « Success stories » se concentrent plutôt sur les solutions destinées au segment professionnel, aux bâtiments tertiaires, pour les collectivités ou les maîtres d’ouvrage qui gèrent la maintenance et l’exploitation d’un patrimoine immobilier important. Ces projets trouvent leur marché cible très vite. Pour les solutions destinées aux particuliers, c’est un peu moins le cas.

Pourquoi les services se développent plus sur le segment professionnel que particulier ?

E. Latimier : Il est plus facile de valoriser des services énergétiques lorsque les gisements sont plus importants. La valorisation de la flexibilité des clients résidentiels n’est pas évidente, car un service de flexibilité est rémunérateur s’il y a un gisement suffisant en termes de gains de consommation.

En outre, les particuliers ne connaissent ni les offres, ni les avantages offerts par ces services dont ils ne voient pas encore l’intérêt. Les services à destination des particuliers pourraient se développer dans un second temps.

Quels services énergétiques pourraient se déployer à destination des particuliers ?

N. Berthomieu : De premiers outils d’accompagnement et d’analyse des consommations commencent à voir le jour. L’ADEME accompagne en phase de démonstration différents projets incluant le suivi de la consommation, l’aide à la décision, notamment par le biais d’écogestes, mais aussi le pilotage de la consommation et l’optimisation de l’autoconsommation pour maximiser l’utilisation de l’énergie produite par le particulier.

E. Latimier: En revanche, il y a encore peu de porteurs de projets pour les comparateurs d’offres d’énergie, les offres de tarification dynamique, avec des prix flexibles selon les plages horaires pour inciter à consommer au bon moment pour le réseau, ou encore pour la détection des passoires thermiques. Les offres dynamiques ont d’ailleurs peu de chance de se développer à court terme, car les équipements du logement sont rarement pilotables, et souscrire à ce type d’offre pourrait entraîner une hausse de la facture.

N. Berthomieu : Pour que ces offres se développent, il est nécessaire de pouvoir piloter ses usages, à commencer par le chauffage (électrique), le chauffe-eau, et surtout la recharge du véhicule électrique, certainement le futur gisement le plus important. Mais toutes les consommations ne sont pas décalables, et les consommateurs sont en outre peu sensibilisés aux enjeux de la flexibilité pour les réseaux.

Pour que ces services se développent, il est nécessaire de piloter les usages. Quelles sont les différentes manières de piloter les usages ?

N. Berthomieu : On distingue le pilotage explicite du pilotage implicite. Le pilotage explicite est un pilotage automatique, pouvant être basé sur un signal (prix, contenu carbone, etc.). Par exemple Voltalis propose le pilotage automatique des radiateurs électriques de clients résidentiels via un boîtier dédié et valorise la flexibilité de l’ensemble de son portefeuille de clients sur les marchés de l’énergie.

Le pilotage « implicite » laisse au contraire la main au consommateur pour moduler sa consommation, en lui permettant de visualiser sa consommation et en lui fournissant des conseils.

En complément des technologies de pilotage, quelles sont les autres briques technologiques nécessaires pour développer les services énergétiques ?

E. Latimier : Pour offrir ces nouveaux services, on utilise soit les données de consommation collectées en temps réel via une borne de télécommunication (ndrl : la prise TIC ou sortie Télé-Information Client) branchée sur le compteur Linky, qui permet potentiellement de communiquer avec 8 appareils, soit les données fournies par des capteurs ad hoc branchés aux équipements : prises intelligentes, etc. Ces données sont parfois couplées aux données d’autres énergies et fluides (chaleur/gaz/eau) ou à d’autres paramètres (température, ensoleillement, etc.).

Le compteur est ainsi généralement une brique essentielle du dispositif, mais il est souvent complété par d’autres appareils et capteurs, notamment pour avoir une dimension multifluides au lieu de suivre uniquement l’électricité.

Pour piloter les usages, on utilise le contact historique du compteur pour piloter le chauffe-eau, ou bien les contacts virtuels, basés sur les calendriers fournisseurs, qui permettent de piloter jusqu’à 7 autres usages, via des interrupteurs ou objets connectés (radiateur connecté, recharge connectée, etc.). Ces données sont échangées via des protocoles de communication divers, puis traitées via un système de gestion centralisé. Beaucoup de projets utilisent en effet d’autres réseaux de communication que le CPL pour piloter les appareils connectés, ainsi que pour fournir des données plus fines et plus lisibles au consommateur.

L’objectif est de pouvoir piloter facilement l’ensemble de ces usages via une box unique, qui peut, en fonction des solutions techniques, être reliée au téléphone portable et généralement inclure un système de communication avec l’opérateur. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de consensus technologique, bien que beaucoup solutions aient recours à la prise TIC de Linky. Linky permet en effet la remontée des données et de mettre en place des tarifications suivant des plages temporaires plus variées. Mais si l’opérateur veut mettre en place un pilotage plus fin et non dicté sur une plage tarifaire en particulier, il doit installer un équipement spécifique complémentaire.

N. Berthomieu : L’avantage de se baser sur le Linky est d’obtenir la donnée de la puissance soutirée à chaque pas de temps. Cela permet d’éviter de recueillir cette information au niveau du compteur lui-même. En revanche, les protocoles de pilotage des appareils depuis une box ne sont pas normalisés et il est difficile d’imaginer des compatibilités pour tous les appareils. Un label Linky ready existe et permet d’homologuer les appareils qui sont compatibles avec le signal ERL de Linky

Une autre problématique est celle de la reconstitution des données, pour tenter de déceler les consommations équipement par équipement. Certains acteurs tentent de le faire pour offrir du conseil par élément. La plupart utilisent des capteurs en aval du compteur. D’autres tentent de repérer la signature des appareils en interrogeant la TIC du compteur. Dans les deux cas, il est indispensable d’avoir le consentement du consommateur pour manipuler ses données personnelles.

Beaucoup de consommateurs deviennent également producteur en ayant recours à l’autoconsommation. Observe-t-on l’émergence d’offres de services énergétiques adossées à de l’autoconsommation ?

N. Berthomieu : L’ADEME a vu émerger de telles offres sur le segment tertiaire, où le taux d’énergie utilisable est bien plus élevé que pour le résidentiel. Généralement, un tiers gère les panneaux photovoltaïques et l’approvisionnement en énergie pour le compte d’un acteur tertiaire. Il peut aussi proposer de gérer une batterie pour optimiser économiquement l’utilisation de l’énergie.

Si on inclue une batterie au système et qu’il y a un investisseur tiers, on peut mettre en place une consommation plus intelligente et flexible de l’électricité, avec des offres destinées aussi aux particuliers. En revanche, sur le segment résidentiel, avoir des batteries individuelles n’est pas optimal.

Il serait plus intéressant de mutualiser le stockage à l’échelle d’un quartier avec un opérateur énergétique unique pour optimiser la gestion du réseau et faire baisser la facture des clients en augmentant le foisonnement des consommations, et dans le même temps le taux d’autoconsommation. À l’ADEME, on recherche la maille la plus pertinente pour monter ces opérations.

Est-ce que les offres d’effacement pour développer la flexibilité de la demande pourraient également se développer ?

N. Berthomieu : l’offre d’effacement est souvent liée à la fourniture d’énergie. Le fournisseur d’énergie pourra ainsi proposer au client final des tarifications différenciées selon les plages horaires de consommation. Il s’agit de remettre à jour les anciennes tarifications EJP ou Tempo, mais avec des prévisionnels beaucoup plus sensibles pour tenir compte de l’augmentation de la production d’énergie renouvelable sur le réseau. Au-delà d’une baisse des consommations, le futur réseau électrique aura en effet besoin de davantage de flexibilités.

Pour conclure, quelles sont les actions prioritaires à mener pour inciter les consommateurs à avoir davantage recours aux services énergétiques ?

E. Latimier : Informer et sensibiliser les consommateurs à l’usage de leurs données énergétiques est bien sûr la priorité. Dans le projet Smart Grids Vendée, un SMS envoyé 8 à 10 jours par an pour inciter les usagers à réduire leur consommation avait un impact efficace, car cette demande était peu fréquente et la population bretonne est bien sensibilisée à la fragilité du réseau. Il faut aussi sensibiliser sur le contenu carbone de l’électricité quand les appels de puissance sont trop importants.

Ensuite, les solutions soutenues doivent pouvoir trouver un marché. Il faut encourager l’utilisateur à se saisir du sujet, mais il faut aussi concevoir des outils qui soient faciles d’utilisation et répondent aux besoins des particuliers. Une démarche globale qui implique les consommateurs doit être engagée.

N. Berthomieu : Dans son rapport sur les 64 projets smart grids soutenus depuis 10 ans, l’ADEME a dressé les retours d’expérience des projets SOLENN, Smart Grid Vendée et Smart electric Lyon. Ils sont instructifs pour comprendre les conditions de la réussite de projets de flexibilité côté consommateurs. La dimension sociale de la prise en compte des écogestes et l’importance de ne pas s’adresser de la même manière aux différents pools de consommateurs ressort clairement. L’ADEME constate aussi une efficacité du dispositif bien supérieure quand le consommateur est accompagné par un animateur énergie qui vient directement dans le logement pour expliquer les écogestes.

Au final, il faut privilégier les solutions qui répondent à la fois aux besoins du réseau électrique et à ceux de l’usager, qui doit trouver un intérêt réel à agir.

 

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