Alors que la numérisation des réseaux énergétiques progresse à pas de géants, le volume des données générées croît de manière exponentielle, une tendance largement amplifiée par le déploiement des compteurs intelligents et le développement de l’IoT (ou internet des objets). De nombreux acteurs tentent de saisir cette opportunité pour développer de nouveaux services digitaux. Développer une offre cohérente qui réponde à un besoin réel et trouve son modèle économique nécessite cependant de penser en amont sa stratégie digitale. Le 5 novembre, Think Smartgrids a organisé un webinaire sur les défis à relever pour créer des services avec une réelle valeur ajoutée autour de la donnée énergétique. Animé par le cabinet de conseil en management Colombus Consulting, le webinaire a fait intervenir quatre orateurs aux profils distincts pour apporter différents retours d’expérience et éclairages : Camille Garcia (Chargeprice), Thierry Chambon (LOAMICS / Energisme), Fabien Coutant (Enedis), et Fabrice Dudognon (Itron).
Ali Zlaoui, Manager Senior de Colombus Consulting, qui intervient dans le secteur de l’énergie sur des enjeux d’organisation, d’expertise technique et de transformation culturelle, a rappelé les multiples facteurs qui incitent les entreprises du secteur de l’énergie à développer de nouveaux services data : au-delà de l’explosion des données énergétiques, la transition énergétique et l’essor des énergies renouvelables entraînent une multiplication des acteurs du réseau, ainsi qu’une nécessité accrue d’échanger des données entre opérateurs et de mieux maîtriser les données énergétiques ; enfin, ce contexte favorise l’émergence de consom’acteurs qui souhaitent avoir les moyens de piloter leur consommation d’énergie.
Ce recours croissant aux données, pour la gestion quotidienne de réseaux de plus en plus décentralisés et flexibles, a encouragé aussi bien l’émergence de nouveaux acteurs dont l’offre est entièrement centrée sur des services data, que la transformation d’acteurs historiques comme Enedis. Interrogés par Anouck Dubois, manager énergie chez Colombus Consulting, les intervenants ont expliqué comment leur entreprise s’était organisée pour proposer une offre de service data et les différents défis rencontrés.
Créée en 2019, Chargeprice propose ainsi aux utilisateurs de véhicules électriques un comparateur de prix aux bornes de recharge. Camille Garcia, en charge du développement de l’offre régionale, a expliqué comment la startup française avait su rapidement se développer dans de nombreux pays d’Europe en démontrant sa valeur ajoutée pour le client final et grâce à une offre personnalisable.
Pour des entreprises qui originellement ne proposaient pas de services digitaux, ces nouvelles offres nécessite souvent une transformation plus globale de l’entreprise et une sensibilisation interne à la culture de la donnée. Itron, initialement fabriquant de matériel pour les collectivités et gestionnaires de réseaux, a rapidement cherché à diversifier son activité. L’entreprise fournit aujourd’hui, outre des compteurs et équipements réseaux, des logiciels et des services autour des smart grids et des smart cities. Fabrice Dudognon, directeur commercial d’Itron, explique que l’accroissement du volume de données a entraîné une complexification de l’architecture informatique qui a transformé les compétences de l’entreprise.
Le défi du recrutement et des compétences pour gérer ces nouveaux outils a également été pointé par Fabien Coutant, de la Direction du Développement de l’Innovation et du Numérique d’Enedis, dont l’organisation a été transformée en profondeur par la transition énergétique. Avec la décentralisation de la production d’électricité, l’essor de consommateurs plus actifs et l’arrivée de nouveaux usages plus flexibles, Enedis doit en effet gérer un volume massif de données. Elle fournit environ 200 services basés sur des données aux consommateurs, fournisseurs d’énergie et collectivités pour accompagner la maîtrise de l’énergie ou encore aider à la définition et au suivi des politiques énergétiques. Enedis a développé une véritable culture des données et de l’innovation pour accompagner cette transformation. Au-delà des aspects technologiques, la question de la gouvernance des données et d’un pilotage centralisé et cohérent est un enjeu fort pour le gestionnaire de réseau.
Parmi les autres défis majeurs pointés par les intervenants, la protection des données est une préoccupation unanimement partagée. Elle nécessite par exemple de pouvoir sécuriser la donnée à chaque étape, en pensant une stratégie de cybersécurité en amont des projets. Un juste équilibre entre sécurité et partage des données doit ainsi être trouvé.
Thierry Chambon, Directeur de Loamics et d’Energisme, a également souligné l’importance de trouver des stratégies de sobriété numérique face à la multiplication des données. Energisme est un éditeur de logiciels au service de la performance énergétique, qui a récemment élargi son offre en proposant une infrastructure logicielle via sa filiale Loamics. Loamics sera parmi les premiers acteurs en Europe à utiliser du calcul quantique pour fournir une puissance de calcul bien supérieure, afin de répondre aux nouvelles exigences d’un réseau d’énergie décentralisé, tout en s’inscrivant dans une démarche d’optimisation énergétique. Thierry Chambon estime que la blockchain est à ce titre une piste intéressante. Bien orchestrer l’algorithme pour l’utiliser non en permanence mais uniquement ponctuellement, au moment opportun, et mieux sélectionner les cas d’usage pour minimiser la collecte des données, sont enfin deux bonnes pratiques mises en œuvre par Energisme.
Fabien Coutant ajoute que la temporalité est également un paramètre important. Enedis ne conserve ainsi les données des compteurs que sur 5 mois et effectue une « purge des données » passé un certain délai.
La digitalisation des réseaux est un impératif pour réussir la transition énergétique, mais passer des expérimentations à des services de qualité nécessite qu’un projet soit pensé dans sa globalité, en intégrant les dimensions des compétences, de la gouvernance des données, de la cybersécurité, et de la sobriété numérique.