Dans le cadre de sa mission générale de concours au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz naturel, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a examiné, au cours des derniers mois, la problématique « des données dont disposent les gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie ». En résulte, 15 recommandations en faveur de l’interopérabilité, d’une bonne gouvernance et de l’innovation.
Un datacenter de Google dans l’Iowa – Crédit photo : Google en CC
Le régulateur de l’énergie avait mis en place un comité d’études qui a procédé à de nombreuses auditions avec les opérateurs régulés de l’énergie, les fournisseurs et producteurs d’électricité, des sociétés de conseil et de services informatiques, des start-up du domaine de l’énergie et des opérateurs de télécommunication. Ce comité d’études a dressé un état des lieux et une typologie tant juridique que technique des données traitées par les gestionnaires de réseaux. Cette cartographie exhaustive révèle l’importante volumétrie, la complexité et l’hétérogénéité de ces données.
Le rapport qui résulte de ces auditions a fait l’objet d’une délibération de la CRE le 22 juin 2017.
Le rapport dresse ainsi le constat d’un « foisonnement » et même d’un déluge de données. « Le monde de l’énergie n’échappe pas à cette tendance. Il en est même un des acteurs majeurs car il crée des données et en consomme abondamment. À titre d’illustration, GRTgaz indique qu’elle recueille quotidiennement 28 millions de données sur son réseau de transport. Le déploiement des compteurs évolués Linky devrait conduire Enedis à collecter, dans les cinq années qui viennent, 5 000 fois plus de données qu’aujourd’hui ».
À ce déluge de données s’ajoute, selon la CRE, « une effervescence normative. « Depuis 2015, pas moins de quatre textes de nature législative sont intervenus en matière de gestion et de mise à disposition des données collectées par les gestionnaires de réseaux d’énergie ». Il s’agit en particulier de l’obligation faite aux gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) et de transport (GRT) de mettre à disposition des collectivités publiques les données nécessaires à l’exercice de leurs missions prévue par l’article 179 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou encore des dispositions de la loi pour une République numérique qui prévoient, notamment, la mise à disposition du public par les GRD et les GRT des données détaillées de consommation ainsi que la généralisation des obligations de partage en open data des données publiques. Ces dispositions législatives d’ouverture et de partage des données de l’énergie ont été depuis complétées par 8 décrets d’application et 6 arrêtés, publiés ou en passe de l’être.
A cette effervescence normative nationale s’ajoutent, en outre, deux textes européens importants : le règlement général sur la protection des données personnelles du 27 avril 2016 et la directive sur la sécurité informatique des réseaux du 6 juillet 2016, qui introduit la notion d’opérateur de services essentiels et renforce les obligations en termes de sécurité informatique opposables aux entreprises concernées, dont celles du secteur de l’énergie.
Selon la CRE, « cette mise en données » du monde de l’énergie est à la fois « source de changement et donc d’incertitudes », « source d’innovation pour tous les acteurs du monde de l’énergie, et même au-delà » et « source d’appropriation, pour les consommateurs ».
A l’issue de ces travaux, la CRE avance 15 propositions qui peuvent être regroupées en quatre familles : l’impératif de cohérence, de qualité et d’interopérabilité des données, la clarification du rôle des acteurs, la consolidation de la confiance des consommateurs dans la gestion de leurs données et enfin la lisibilité des critères d’analyse du régulateur et la prévisibilité des actions qu’il mettra en place.
Garantir la cohérence, la qualité, l’interopérabilité des données
La CRE affiche, en premier lieu, un objectif de mise en cohérence et de qualité dans la mise à disposition des données produites par de multiples acteurs et sous l’égide de nombreux régimes juridiques.
La CRE propose ainsi que le corpus législatif et réglementaire applicable, à la fois complexe et exhaustif, « soit désormais éprouvé, pour en analyser les éventuels manques et les nécessaires évolutions ». (recommandation n°1).
Afin de permettre à l’ensemble des fournisseurs d’énergie de proposer des offres sur les territoires desservis par les entreprises locales de distribution (ELD), la CRE estime que « le déploiement des systèmes de comptage évolué doit être considéré comme une opportunité d’adaptation des systèmes d’information des gestionnaires de réseaux qui leur permettra d’homogénéiser les échanges informatiques qu’ils peuvent avoir avec les fournisseurs. Elle demande à tous les gestionnaires de réseaux de distribution de s’engager fortement dans cette démarche de convergence » (recommandation n°2).
Le cadre de régulation incitative de la qualité de service des opérateurs régulés de l’énergie devra « prendre également en compte, d’une manière quantifiable et objective, la gestion des données, tout particulièrement celles qui intéressent au premier chef leurs principaux destinataires » (recommandation n°3).
La neutralité technologique et l’interopérabilité des solutions utilisées constituent, pour la CRE, un élément majeur de la réussite de la diffusion de données qui sont mises à disposition par des opérateurs détenant un monopole de service public. « Elle continuera ainsi à veiller à ce que l’utilisation de standards interopérables permette d’éviter tout phénomène de captivité des clients finals. À ce titre, elle recommande aux fournisseurs d’énergie de mettre à disposition, via la sortie locale des systèmes de comptage évolués d’électricité, des informations de prix standardisées » (recommandation n°4).
Ayant constaté l’importance que revêtaient le respect d’un calendrier de mise à disposition ou de la fréquence de mise à jour de certaines données, la CRE considère nécessaire « de prendre en considération les attentes des destinataires de données (en particulier, les producteurs et les personnes publiques). C’est pourquoi elle demande aux opérateurs régulés de l’énergie de transmettre à la CRE, après concertation avec les parties prenantes et en tenant compte de la faisabilité technique et du niveau de priorité exprimé, la liste des principaux processus pour lesquels il serait nécessaire de revoir la fréquence et le délai de mise à disposition des données » (recommandation n°5).
Clarifier les rôles pour une gouvernance efficace et multifluide à terme
L’exploitation des données dont disposent les opérateurs régulés de l’énergie constitue, selon la CRE, « une opportunité inédite de mieux articuler les réseaux d’énergie entre eux, à la fois entre les différents niveaux de réseaux et les différentes énergies, au bénéfice de la collectivité. Une meilleure connaissance des flux de production et de consommation d’énergie permet en effet à la fois de mieux dimensionner les infrastructures et de mieux les exploiter, et ce, en s’appuyant à la fois sur la complémentarité entre les différents niveaux de réseaux et sur celle entre énergies ».
La CRE considère, dès lors, nécessaire « d’engager une réflexion avec l’ensemble des parties prenantes, publiques et privées, pour déterminer l’équilibre régulatoire le plus acceptable et soutenable pour à la fois encourager l’exploitation de ces données et préserver les solidarités entre utilisateurs et entre territoires » (recommandation no 6).
Concernant les rôles respectifs des acteurs des systèmes énergétiques en matière de mise à disposition de données, la CRE considère que « les avancées récentes en la matière ont contribué à mieux définir les nouvelles missions de ces acteurs, en particulier celles des gestionnaires de réseaux de distribution. Toutefois, la CRE considère que les frontières qui délimitent leurs attributions respectives, tout spécialement celles entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d’énergie, sont parfois difficiles à appréhender, voire font l’objet d’incohérences ou de doublons« . Elle veillera « à préciser la limite des attributions des gestionnaires de réseaux vis-à-vis des acteurs du secteur concurrentiel, notamment par la définition des prestations annexes concernant les mises à disposition de données et leur champ d’intervention » (recommandation n°7).
Elle recommande en outre, dès lors qu’un opérateur régulé de l’énergie envisage de proposer des services comparables à ceux commercialisés par les acteurs du secteur concurrentiel, que « celui-ci s’appuie sur les mêmes données que celles accessibles aux fournisseurs d’énergie et de services. Cette activité doit s’effectuer dans un cadre juridique lui permettant de la distinguer de celles relevant de ses missions de service public » (recommandation n°8).
Dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, la CRE considère “qu’une mise à disposition pertinente des données de consommation et de production pourra contribuer à une meilleure maîtrise de la demande en énergie, qui constitue une problématique particulièrement prégnante sur ces territoires”. Les opérateurs devront « veiller à fournir au secteur concurrentiel l’ensemble des données dont celui-ci a besoin afin de favoriser également dans ces zones l’émergence de services innovants fondés sur leur exploitation » (recommandation n°9).
L’une des principales recommandations concerne les modèles de gouvernance de la mise à disposition de données. « L’émergence d’une entité chargée de mettre à disposition certaines des données des opérateurs régulés de l’énergie tient, selon la CRE, à plusieurs facteurs : une nécessaire équité à préserver entre des collectivités territoriales de tailles différentes, qui ne sont pas toutes en mesure de développer de tels services ; le traitement concomitant de toutes les énergies d’un territoire, qui contribuent à la cohérence des politiques énergétiques locales ; la nécessité d’éviter que les données énergétiques courent le risque d’être « cannibalisées » par un acteur privé, dont l’ampleur pourrait lui permettre d’établir un monopole de fait, sur la base de données collectées et produites par des opérateurs possédant des missions de service public ».
La CRE formalise, à cette occasion, six principes qui devraient guider la mise en place d’une plate-forme mutualisée de mise à disposition des données de l’énergie (recommandation n°10) :
- La mise à disposition doit, dans un premier temps, s’organiser autour des données agrégées de l’énergie.
- L’agrégation des données doit inclure tous les niveaux de réseaux.
- Une plate-forme doit être conçue de façon à pouvoir s’élargir à des données « multifluides ».
- La construction d’une plate-forme doit répondre aux besoins des utilisateurs et être économe dans ses modalités.
- Une telle plate-forme doit être flexible et adaptable.
- Une telle plate-forme doit être compatible avec des initiatives d’ores et déjà engagées.
Consolider la confiance au service de l’innovation
La CRE dresse le constat que les services fondés sur l’exploitation des données de l’énergie ne suscitent qu’un intérêt limité auprès des consommateurs finals d’énergie, à plus forte raison des consommateurs domestiques.
Différents facteurs contribuent, selon la CRE, à expliquer ce manque d’intérêt : « la méfiance des consommateurs vis-à-vis du déploiement des systèmes de comptage évolué et de l’exploitation des données afférentes ; leur méconnaissance des principaux concepts et principes manipulés ; une répartition des rôles des acteurs des systèmes énergétiques, notamment la distinction entre les fournisseurs d’énergie et les gestionnaires de réseaux, difficile à percevoir ».
La CRE estime, tout d’abord, que « la qualité du consentement obtenu du consommateur final pour exploiter les données de l’énergie qui le concernent n’est pas qu’une question technique ou juridique. Il s’agit d’un prérequis indispensable à sa confiance vis-à-vis de l’émergence de nouveaux services ». Elle invite « les fournisseurs d’énergie et de services, ainsi que les gestionnaires de réseaux, à oeuvrer afin de proposer aux utilisateurs des modalités de recueil qui doivent être succinctes, exhaustives et aisément compréhensibles et permettant des consentements éclairés ». Elle considère, de plus, que « les gestionnaires de réseaux, en tant que responsables de la gestion de ces consentements, doivent disposer des pouvoirs nécessaires à l’exercice du contrôle de l’existence dudit consentement, et encourage, à ce titre, le législateur et le pouvoir réglementaire à faire évoluer les textes applicables en ce sens » (recommandation n°11).
Les craintes liées à la confidentialité des informations recueillies par les systèmes de comptage évolué n’ont pas toutes été levées. La CRE que les efforts de pédagogie en la matière soient amplifiés » afin de mieux expliquer au consommateur le bien-fondé et la portée de l’exploitation des données à caractère personnel qui le concernent. C’est pourquoi la CRE appelle de ses voeux au décloisonnement des questions de sécurité et de confidentialité ». (recommandation n°12).
Afin que les consommateurs puissent davantage s’approprier les données de l’énergie et ainsi percevoir l’intérêt qu’un tiers puisse exploiter ces données à leur bénéfice, la CRE souhaite « qu’une initiative comparable à ce que les États-Unis ont mis en oeuvre avec le Green Button permette à chacun de récupérer et de partager les données qui le concernent (recommandation n°13).
Donner de la lisibilité aux acteurs et décloisonner l’approche de la CRE
Compte tenu de l’effervescence normative inédite en matière de mise à disposition de données, la CRE annonce la production d’un document d’orientation stratégique en matière de données de l’énergie. « Celui-ci formalisera les lignes directrices qu’elle compte porter quant aux enjeux liés à la mise à disposition des données de l’énergie, qui pourra être utilisé au niveau national et vis-à-vis des différentes instances européennes » (recommandation n°14).
Le rapport, enfin, pointe les nombreuses intersections avec les domaines de compétences d’autres autorités de régulation françaises ont été identifiées par le comité d’études, en particulier avec l’ANSSI, la CNIL, l’Autorité de la concurrence et l’ARCEP. La CRE propose, à cet effet, la création d’une gouvernance en matière de diffusion en open data des données de l’énergie. (recommandation n°15).
ITEMS International pour Think Smartgrids
Source : CRE, Rapport données gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie