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Edge computing : applications et perspectives pour les réseaux électriques


Publié le 13 Avril 2022



Les technologies Edge computing exploitent les données au plus près de leur source d’émission. En déployant des capacités de calcul en périphérie du réseau, elles permettent l’émergence de nouveaux services plus performants et plus réactifs, et suscitent un intérêt croissant de la part des acteurs de l’énergie. Alors que la transition énergétique implique une décentralisation du fonctionnement du système électrique, l’edge computing ouvre ainsi de nouvelles perspectives au développement des réseaux « intelligents » ou smart grids. Le 6 avril dernier, un webinaire organisé par l’association Think Smartgrids a permis de donner un aperçu des diverses applications de l’edge computing et de ses potentialités pour les réseaux électriques. 

Au cours des dernières décennies, les capteurs se sont multipliés dans notre environnement, avec l’objectif de collecter des données qui, une fois agrégées et analysées, peuvent fournir de nouveaux services, à une industrie comme à un bâtiment dit « intelligent ». Il est difficile de définir précisément les contours de l’edge computing tant cette technologie est évolutive, mais comme l’explique Philippe Lalanda, professeur à l’Université de Grenoble, son apport majeur a été de permettre de traiter les données de ces capteurs sur des appareils à un niveau local au lieu de les faire remonter dans le cloud. Les bénéfices sont multiples : un temps de latence quasi inexistant entre l’émission et le traitement de la donnée qui améliore les performances, une réduction des coûts liés au cloud et aux moyens de télécommunication, moins de données privées remontées, une meilleure résilience en cas de défaillance du cloud, l’utilisation de ressources du réseau jusqu’alors sous-exploitées, et enfin, de nouveaux services grâce au pseudo-temps réel du traitement des données. Revers de la médaille : une complexité bien supérieure, qu’il s’agisse des nouvelles architectures logicielles et applications à développer, ou encore de devoir gérer au niveau local tout ce qui était externalisé au niveau du cloud, notamment le traitement des données.

L’edge computing est cependant déjà bien présent au niveau des réseaux électriques. Interrogés par Michel Béna, directeur adjoint de la R&D du transporteur d’électricité RTE, les intervenants ont dressé un panorama, non exhaustif, de cas d’usages concrets déjà à l’œuvre.

Jacques Martin, E&U R&D Manager chez Atos Worldgrid, a ainsi évoqué les projets SMAP et AI4DG qui visent à intégrer bien plus massivement énergies renouvelables (en particulier panneaux photovoltaïques de toit), véhicules électriques et stockage batterie au réseau basse tension. Les variations de tension et notamment les surtensions en cas d’injection trop forte d’énergie renouvelable sur le réseau posent en effet un réel défi aux gestionnaires de réseau.

Le projet SMAP a permis de tester le traitement local, au niveau des concentrateurs, des données  transmises par les compteurs Linky relatives aux grandeurs électriques au niveau des points de distribution, notamment les données relatives aux excursions de tension. Un algorithme installé dans les concentrateurs au sein des postes sources assure le traitement temps réel de ces informations. L’algorithme peut intervenir d’une part en pilotant les onduleurs des panneaux photovoltaïques et d’autre part en provoquant la modification des régleurs en charge au niveau des transformateurs.

Le projet franco-allemand AI4DG pousse un cran plus loin la complexité de la tâche en intégrant à l’équation les véhicules électriques (dont certains équipés de chargeurs bidirectionnels) et le stockage batterie, en ciblant deux points d’optimisation. Le premier, derrière le compteur, au sein de la maison, cherche à maximiser l’autoconsommation et à minimiser la facture électrique des foyers sans pour autant partager à l’extérieur les détails des courbes de charge ou de consommation. L’approche retenue combine edge computing, optimisation classique et intelligence artificielle. Le second se situe au niveau du poste source et se base sur des prédictions agrégées pour élaborer des signaux simples à destination des logements et permettre de décaler l’injection ou la consommation d’énergie.

Guillaume GIRAUD, ingénieur R&D Architectures d’avenir pour le contrôle du système électrique au sein de RTE, a présenté le projet « NAZA » ou Nouveaux Automates de Zone Adaptatifs. Grâce aux capteurs déployés sur le réseau de transport, et aux algorithmes à commande prédictive installés à des mailles locales sur quelques postes électriques, RTE gère de manière automatique les congestions sur son réseau de transport dans les zones à fort développement d’énergies renouvelables. L’architecture de pilotage du réseau a été entièrement repensée, et RTE vise un continuum entre le contrôle situé au niveau du cloud et celui situé au niveau des postes électriques, avec une bascule automatique des fonctions qui permettra de gagner en agilité et en résilience.

Cette utilisation de l’edge computing permet à RTE d’optimiser le développement de son réseau, et ainsi de le développer au plus près des besoins réels, avec un gain prévu sur ses investissements réseaux de 7 Mds d’euros sur les 37 Mds visés d’ici à 2035 et d’importantes économies en ressources, notamment en matériaux critiques comme le cuivre.

Côté Enedis, Stéphanie Delaunay du pôle Données de la DSI a notamment présenté les apports de l’Edge computing pour la détection de coupures électriques sur le réseau Basse Tension. Les technologies du Edge sont déployées dans les concentrateurs de l’infrastructure Linky située dans tous les postes HTA/BT du territoire couvert par Enedis. Ce traitement automatique et local permet de détecter les coupures électriques avant même que l’usager n’appelle le service client de dépannage. Les alarmes ne remontent dans le cloud du service informatique central d’Enedis qu’en cas de problème. Autre atout de l’Edge exploité par Enedis : le traitement local des données permet de remédier au problème des zones blanches lorsque les équipes interviennent sur le terrain.

Stéphanie Delaunay évoque cependant un enjeu de cybersécurité : l’absence de supervision humaine des matériels sur le terrain, qui a incité Enedis à mettre en place un module de sécurité dédié pour détecter d’éventuelles attaques, remonter l’information et même bloquer automatiquement le fonctionnement du concentrateur.

Clément Paris, chef de projet R&D au sein d’EDF, a enfin évoqué la dimension prospective de l’edge computing pour les réseaux. L’électricien EDF s’intéresse en effet de près aux potentialités de ces technologies pour faire face aux défis croissants du système électrique (développement des EnR et des nouveaux usages, décentralisation, événements climatiques extrêmes…). Les applications envisagées de l’edge computing portent ainsi notamment sur les dimensions de résilience, d’amélioration de l’analyse des données, mais aussi sur le développement des flexibilités, la cybersécurité et de nouvelles fonctions intelligentes au niveau des postes électriques.

Clément Paris souligne cependant le réel défi industriel soulevé par le déploiement du edge computing sur les réseaux et la multiplicité des compétences que cela exige, en termes de data science, IA, développement de systèmes d’informations et d’applications, entre autres. Il appelle la filière smart grids à co-développer ces nouveaux services et systèmes d’informations, ainsi qu’à travailler autour des questions de certifications et de standardisation.

Voir le webinaire : https://www.youtube.com/watch?v=GdlfdI9AJaU&ab_channel=ThinkSmartgrids