Les tensions sur l’approvisionnement électrique et les hausses de prix de l’électricité stimulent l’essor de l’autoconsommation. Le nombre de foyers qui y ont recours a doublé en 2022. L’autoconsommation collective, à l’échelle d’un immeuble ou d’un lotissement, fait ses premiers pas grâce à une adaptation récente de la réglementation. La France, observe RTE, « fait pâle figure par rapport à ses voisins européens puisqu’en 2020, l’Allemagne comptait déjà 1,6 million de foyers en situation d’autoconsommation (3 millions en 2023 et probablement 4 millions en 2024) le Royaume-Uni 850 000, et l’Italie 630 000. En Espagne, les installations photovoltaïques en autoconsommation ont représenté, pour la seule année 2022, une puissance installée de 2 GW1 ».
Doublement en un an de l’autoconsommation individuelle
D’après les dernières données d’Enedis, plus de 326 000 logements en autoconsommation individuelle (dont 99% avec de la production photovoltaïque) sont déjà raccordés au réseau de distribution fin juillet 2023, contre 184 700 un an plus tôt. La puissance installée a doublé en douze mois passant de 868 à 1629 MW. Seules 3% des installations photovoltaïques d’autoconsommation individuelle sont combinées avec des moyens de stockage de l’électricité. 45% des installations photovoltaïques sont utilisées pour de l’autoconsommation individuelle.
La hausse des prix de l’électricité booste l’autoconsommation avec stockage
Le stockage a longtemps semblé réservé à une clientèle en quête d’indépendance énergétique par conviction chez les particuliers. Le blog de Tecsol pointe un net décollage des installations de systèmes de batteries lithium associés au photovoltaïque, attribuant ce nouvel appétit des particuliers pour le stockage à l’augmentation des prix de l’électricité. « Le taux de couverture d’un système photovoltaïque en autoconsommation bien dimensionné plafonne en général à 30 à 40 %. Sa capacité à “effacer” la consommation électrique domestique est donc réduite en l’absence de stockage. Compléter l’installation par un système de stockage permet de doubler cet effacement, pour atteindre de l’ordre de 60 % à 70 % en transférant la production photovoltaïque de la journée vers le pic de consommation du soir. Toujours selon Tecsol, Ce RoI très prometteur, sans doute à confirmer par les faits et l’évolution des prix des capacités de stockage, semble en tout cas encourageant pour le développement de l’autoconsommation.
SolarPower Europe, l’association qui rassemble les acteurs européens du solaire, estimait, dans un rapport consacré au marché européen du stockage résidentiel par batteries en 2021, à plus d’un million les batteries domestiques en service dans l’Union européenne, soit 9 300 MWh. Porté par une petite poignée de pays, le marché européen a connu une forte croissance ces dernières années : +56 % entre 2019 et 2020, +74 % entre 2020 et 2021 et + 72 % entre 2021 et 2022. Jugeant la place de la France sur ce marché modeste, au regard de sa population, SolarPower Europe prévoyait toutefois un triplement de ce marché, qui passerait 56 MWh en 2022 à 148 MWh en 2026.
224 opérations d’autoconsommation collective
Alors qu’en 2018, Enedis recensait seulement 6 opérations d’autoconsommation collective, le rythme de son développement s’est progressivement accéléré ces 5 dernières années : 42 opérations en 2020, 77 en 2021, 149 à la fin 2022. Les 224 opérations recensées fin juillet 2023 réunissent 3150 participants pour une puissance totale de plus de 14 MW, majoritairement des panneaux photovoltaïques.
« Ce nouvel usage séduit notamment les collectivités qui portent à elles seules plus de 60% des opérations d’autoconsommation collective. Les bailleurs agréés HLM sont également bien représentés. Émergent des projets regroupant des entreprises sur des zones d’activités et zones industrielles » explique Enedis.
22 opérations d’autoconsommation collective en Bretagne
La Bretagne fait partie des régions les plus dynamiques en matière d’autoconsommation collective, avec 22 opérations. L’un des projets phares est l’opération Partag’élec, portée par Morbihan Energies : mise en service en novembre 2022, elle rassemble 130 consommateurs, dont 18 bâtiments de la commune de Surzur, 107 particuliers et 5 professionnels. Ensemble, ils partagent l’électricité provenant d’une centrale solaire composée de 680 panneaux photovoltaïques d’une capacité de production électrique de 249 kWc.
SMILE, le projet collaboratif bi-régional déployé sur les Régions Bretagne et Pays de la Loire, tirait, le 23 juin dernier, les premiers enseignements des opérations d’autoconsommation collective.
La loi d’accélération des énergies renouvelables va simplifier le recours à l’autoconsommation collective
La loi d’accélération des énergies renouvelables du 10 mars 2023 destinée à rattraper le retard pris par la France en matière de renouvelables offre aux collectivités de nouveaux outils pour monter ou participer à des opérations :
- La principale mesure de la loi est l’instauration d’un dispositif de planification territoriale des énergies renouvelables afin d’équilibrer la répartition des projets, en incitant à les installer sur des zones où ils sont aujourd’hui peu nombreux.
- L’article 3 de cette loi transcrit la définition européenne des communautés énergétiques dans le droit français : il précise les formes que peuvent prendre ces communautés (SA, SAS, SCIC ou association loi 1901) ainsi que les notions d’autonomie et de contrôle effectif.
- Il sera possible pour un acheteur public de recourir à un contrat de la commande publique avec un ou plusieurs producteurs d’électricité (article 86). « Cette modification va favoriser les offres mixtes comprenant complément de rémunération et PPA, interprète Philippe Jacques pour PV-Magazine. « Pour l’Etat, elle vise surtout à réduire les niveaux de soutiens publics. Mais elle permettra sûrement en corollaire de faciliter l’accès aux PPA pour les petits off-takers. En effet, si une partie du financement de la centrale de production d’électricité est couverte par un complément de rémunération, cela réduit les risques pour le producteur en cas de défaut de son client avec qui il a conclu un PPA pour l’autre fraction de la centrale ». L’article 86 confère à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) une mission de surveillance, autant que pour l’électricité que pour le gaz renouvelable. Les producteurs d’électricité qui concluent un contrat de vente directe devront communiquer à la Commission de régulation de l’énergie, dans un délai de deux mois à compter de la conclusion du contrat, de sa modification ou de la survenance de tout événement l’affectant, les éléments contractuels, financiers, techniques ou opérationnels.
- L’article 100 de la loi complète le code l’énergie en créant un chapitre dédié à l’autoconsommation collective étendue sur les dispositions relatives au gaz.
- L’article 81 précise que de l’hydrogène vert peut être produit à partir d’électricité provenant d’opérations d’autoconsommation individuelle ou collective.
- L’article 88 prévoit qu’il n’est plus nécessaire de créer une régie dans le cadre d’une opération d’autoconsommation ou d’établir un budget annexe pour le surplus de production photovoltaïque locale (SPIC).
L’ADEME rendra prochainement un rapport aux parlementaires présentant des recommandations sur la création de structures juridiques permettant d’assurer une production d’énergies renouvelables en régie dans un objectif d’autoconsommation collective.
Points d’attention au niveau du système électrique
L’autoconsommation est encouragée par les pouvoirs publics, par la Commission européenne et par RTE car elle représente une réponse concrète à plusieurs enjeux majeurs des territoires:
- Renforcer leur indépendance énergétique – c’est de loin la première motivation citée dans l’enquête APVF-Enedis de décembre 2022
- Accélérer le développement des énergies renouvelables sur leur territoire et remplir leurs objectifs de décarbonation ;
- Maîtriser la hausse du coût de l’électricité, surtout dans les zones bénéficiant d’un bon ensoleillement, dans le contexte actuel de prix élevés de l’électricité (tarif régulé d’environ 20 c€/kWh pour des résidentiels). Selon RTE, aujourd’hui, la baisse des coûts du photovoltaïque permet des coûts de production de 11 à 17 c€/kWh suivant la région (prime à l’installation des panneaux comprise).
- Se doter d’une vision à long terme sur leur approvisionnement énergétique ;
- Communiquer auprès de leurs administrés sur leurs actions en faveur de la transition énergétique, voire leur faire bénéficier d’une énergie renouvelable et locale à un prix compétitif ;
- Développer leur attractivité et soutenir le développement des entreprises sur leur territoire via un coût de l’électricité avantageux.
RTE relève toutefois trois points d’attention au niveau du système électrique et dans l’intérêt collectif :
L’électricité photovoltaïque auto-produite couvre en moyenne entre 30 et 40 % des besoins d’un ménage. En diminuant la facture d’électricité des foyers autoconsommateurs, ce mode de production réduit également les recettes de financement des réseaux, inclues dans la facture. « Sans pour autant alléger les besoins de réseaux en proportion puisqu’ils restent nécessaires notamment en hiver. Donc un fort développement de l’autoconsommation devra s’accompagner d’un rééquilibrage du financement des réseaux qui risque, sans cela, d’être transféré aux foyers qui n’y ont pas recours, souvent des foyers moins aisés ».
De même, il faudra veiller à l’équilibre offre/demande du système électrique dans l’hypothèse d’un essor de l’autoconsommation. « Par exemple, si beaucoup de particuliers utilisent leurs appareils domestiques et rechargent leurs véhicules en milieu de journée, lors des heures ensoleillées, cela peut, à terme, contribuer à une nouvelle pointe de consommation nationale. À l’inverse, l’autoconsommation ne contribuera pas à lisser la pointe de 19 h en hiver, donc ne permettra pas d’optimiser le dimensionnement du système électrique. Contexte différent aux États-Unis où l’autoconsommation peut répondre aux fortes demandes d’électricité dans la journée, liées à la climatisation ».
L’investissement dans ses propres moyens de production d’électricité photovoltaïques est une des formes de réponses aux enjeux de décarbonation. « L’isolation des logements en est une autre, plus ciblée sur les consommations de chauffage en hiver et d’éventuelle climatisation en été. A l’échelle des ménages, il y a forcément une concurrence entre investissements possibles et il ne faudrait pas que l’autoproduction se fasse au détriment de l’efficacité énergétique et, au-delà, de la sobriété ».
Sources :
Observatoire Enedis de la transition énergétique : autoconsommation, Une pratique en plein essor
Enedis : enjeux de l’autoconsommation collective et des raccordements photovoltaïques
Panorama de l’électricité renouvelable 31 décembre 2022
Tecsol : La hausse des prix de l’électricité booste l’autoconsommation avec stockage
SolarPower Europe: European Market Outlook for Residential Battery Storage 2022–2026
LOI relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, 2023
RTE : l’autoconsommation, un remède à la crise de l’énergie ?
PV-Magazine : Ce que la loi d’accélération des EnR change pour les PPA