Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié le 20 mars dernier la synthèse de huit ans de travaux pour comprendre et tenter de limiter le réchauffement climatique et ses impacts. Parmi les solutions, l’électrification et le développement des énergies renouvelables jouent un rôle majeur, tandis que des réseaux électriques résilients seront essentiels pour s’adapter au changement climatique.
Un premier constat assez sombre
Le rapport commence par rappeler que le réchauffement climatique se produit à un rythme sans précédent sous l’effet des activités humaines, du fait du caractère non durable de notre utilisation de l’énergie et des terres, de nos modes de vie et de nos modes de consommation et de production, avec une élévation de la température du globe atteignant déjà 1,1°C par rapport à la période préindustrielle. Un réchauffement de 1,5 °C devrait intervenir dès le début des années 2030. L’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5°C pour la fin du siècle paraît ainsi bien loin : il nécessiterait que les émissions nettes de CO2 deviennent « négatives » peu après 2050 !
Or les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter : elles ont progressé de 12% entre 2010 et 2019 (+6,5 GtCO2-eq). Les réductions des émissions dues aux améliorations de l’intensité énergétique du PIB et du contenu carbone de l’énergie n’ont en effet pas suffi pour compenser les augmentations des émissions provoquées par la hausse de l’activité mondiale dans l’industrie, l’approvisionnement en énergie, les transports, l’agriculture et les bâtiments. La hausse a été particulièrement importante pour la combustion des énergies fossiles et les processus industriels.
Pour espérer limiter le réchauffement à 2°C, il nous faudra rapidement atteindre la neutralité carbone au niveau mondial puis parvenir à des « émissions nettes négatives » vers 2070, tout en ayant réduit drastiquement les autres émissions de GES. Mais les engagements des États sont insuffisants, et le GIEC constate que les politiques mises en œuvre n’offrent même pas les réductions d’émissions promises par les contributions nationales (NDCs). Les flux financiers sont en outre « inférieurs aux niveaux nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques, dans tous les secteurs et toutes les régions ».
L’électrification et les EnR : des solutions centrales et rentables
Cependant, le GIEC souligne que « dans de nombreux pays, les politiques ont amélioré l’efficacité énergétique, réduit les taux de déforestation et accéléré le déploiement de technologies, ce qui a permis d’éviter et, dans certains cas, de réduire ou de supprimer des émissions ». Ces émissions « évitées » pourraient se compter au niveau mondial à plusieurs gigatonnes d’équivalent CO2.
Parmi toutes les solutions de réduction des émissions jugées techniquement viables et rentables, le GIEC mentionne le solaire, l’éolien, l’électrification des systèmes urbains, l’infrastructure verte urbaine, l’efficacité énergétique ou encore la maîtrise de la demande. La baisse drastique du coût des énergies renouvelables solaires et éoliennes et des batteries lithium-ion ont permis d’accélérer leur déploiement. Dans certaines régions et certains secteurs, le maintien de systèmes à forte intensité carbone peut ainsi s’avérer plus coûteux que la transition vers des systèmes à faibles émissions.
La combinaison d’instruments politiques ayant permis de réduire les coûts de ces technologies et de stimuler leur adoption comprend la R&D publique, le financement de projets de démonstration et de projets pilotes, et les instruments pour réorienter la demande tels que les subventions au déploiement qui favorisent le passage à l’échelle d’une solution.
Cependant, les financements publics et privés pour les énergies fossiles restent aujourd’hui plus importants que ceux destinés à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique. De plus, accélérer l’adoption de ces technologies dans les pays pauvres et en développement nécessiterait d’accroître les flux financiers et le transfert de technologies.
À droite du tableau, où sont listées les options pour atténuer le changement climatique, on constate que l’éolien et le solaire font partie des solutions les plus efficaces pour réduire les émissions mais aussi des plus rentables. Les solutions d’efficacité énergétique ou permettant d’éviter des consommations d’énergie sont aussi généralement rentables ou avec un surcoût peu élevé. Sur la colonne de gauche, qui concerne le volet « adaptation » au changement climatique, renforcer la résilience du système électrique et sécuriser l’approvisionnement en énergie font partie des principaux leviers à actionner pour leur efficacité, leur faisabilité, ainsi que pour leurs fortes synergies avec la dimension atténuation des émissions. Les trois points sur le pavé indiquent en outre un « haut niveau de confiance » du GIEC sur ces aspects.
Les flèches vertes représentent les potentiels de réduction des émissions de GES grâce aux mesures axées sur la réduction des consommations. Ainsi, les émissions mondiales de GES des bâtiments, des transports terrestres et de l’alimentation pourraient être réduites de 40 à 70 % d’ici à 2050 par rapport aux scénarios de référence.
La dernière ligne montre l’impact sur la demande globale d’électricité de la réduction de la demande dans d’autres secteurs. La demande en électricité croît ainsi de 60% d’ici 2050 dans le scénario de référence de 2050 (barre grise du schéma) en raison de l’électrification croissante dans les autres secteurs. Cette augmentation pourrait être contenue voire évitée par des actions fortes de modération de la demande dans les transports terrestres, les bâtiments, l’usage des infrastructures et l’industrie (flèche verte).
Les principaux leviers d’atténuation modélisés par le GIEC pour atteindre le zéro émissions nettes de GES au niveau mondial comprennent : la transition des combustibles fossiles vers des sources d’énergie très bas carbone, telles que les EnR, la préservation des écosystèmes naturels et la séquestration du carbone dans les sols agricoles, mais aussi les mesures pour faire baisser la consommation, améliorer l’efficacité, réduire les émissions de GES autres que le CO2 et capter le CO2.
Le GIEC estime que « des réductions profondes, rapides et soutenues des émissions de gaz à effet de serre conduiraient à un ralentissement perceptible du réchauffement de la planète en l’espace d’environ deux décennies ». Mais des changements systémiques de grande ampleur sont nécessaires. Parmi ceux-ci, le déploiement de technologies bas carbone, la réduction et la modification de la demande en repensant la conception des infrastructures et leur accessibilité, des changements socio-culturels et comportementaux, ainsi qu’une largement adoption de technologies plus efficaces.
De nombreuses solutions efficaces, faisables et peu coûteuses existent déjà pour décarboner l’énergie
Les systèmes énergétiques à zéro émissions nettes impliquent : une réduction drastique de l’usage des combustibles fossiles ; le piégeage et stockage du carbone pour les systèmes basés sur les énergies fossiles qu’on ne pourrait supprimer ; des systèmes électriques neutres en carbone ; une électrification généralisée ; des vecteurs énergétiques alternatifs dans les applications qui se prêtent moins à l’électrification ; la sobriété et l’efficacité énergétique ; et un fonctionnement plus intégré de l’ensemble du système énergétique.
L’énergie solaire et éolienne, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la réduction des émissions de méthane (mines de charbon, pétrole et gaz, déchets) peuvent contribuer largement à réduire les émissions du secteur de l’énergie. Il existe aussi des solutions pour accroître la résilience des infrastructures, la fiabilité des systèmes électriques et l’utilisation efficace de l’eau pour les systèmes de production d’énergie. La diversification de la production d’énergie (éolienne, solaire, hydroélectricité de petite dimension), le stockage et la maîtrise de la demande peuvent en outre sécuriser l’approvisionnement en énergie et réduire les vulnérabilités au changement climatique.
Par ailleurs, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables peuvent offrir des synergies potentielles avec des objectifs de développement durable. L’électrification à partir de sources de production bas carbone et le passage à la mobilité active et aux transports publics peuvent aussi « améliorer la qualité de l’air, la santé et l’emploi, tout en garantissant la sécurité énergétique et l’équité ».
Parmi les solutions présentant une faisabilité élevée à moyen et long terme ainsi que des avantages connexes pour atténuer changement climatique, le GIEC cite : des marchés de l’énergie ayant une sensibilité climatique, des standards actualisés pour la conception des actifs énergétiques afin de tenir compte du changement climatique prévu, les technologies smart grids, des systèmes de transport d’électricité robustes et une capacité accrue à s’adapter aux déficits d’approvisionnement. Le GIEC suggère aussi de supprimer les subventions aux énergies fossiles, mais en prévoyant des mesures compensatoires pour les plus vulnérables, comme une redistribution du montant des économies réalisées par les États.
Réduire les émissions de l’industrie et des transports
La réduction des émissions de GES de l’industrie implique une action coordonnée tout au long des chaînes de valeur afin de promouvoir toutes les options d’atténuation, y compris la maîtrise de la demande, l’efficacité énergétique et des matériaux, le réemploi et le recyclage, et enfin les technologies qui améliorent les processus de production.
Les véhicules électriques alimentés par de l’électricité bas carbone ont un fort potentiel de réduction des émissions de GES des transports terrestres, sur l’ensemble du cycle de vie. Les progrès technologiques des batteries pourraient aussi faciliter l’électrification des poids lourds. Cependant, l’empreinte environnementale de la production de batteries et les préoccupations croissantes concernant les métaux critiques doivent mener à des stratégies de diversification des matériaux et des approvisionnements, une plus grande efficacité énergétique et matérielle, et un modèle de flux circulaires des matériaux via le réemploi et le recyclage.
Des villes et infrastructures décarbonées amènent d’autres co-bénéfices
Les systèmes urbains sont essentiels pour parvenir à de fortes réductions des émissions et concevoir un mode de développement résilient. Outre les transports publics, la mobilité active (marche, vélo…), la sobriété et une planification urbaine dense, les solutions comprennent notamment la rénovation et l’utilisation efficaces des bâtiments, la réduction de la consommation d’énergie et de matériaux et l’électrification bas carbone. Une approche intégrée des infrastructures physiques, naturelles et sociales, avec des infrastructures « vertes » (naturelles) et bleues (eau), favorisent par ailleurs l’absorption et le stockage du carbone et peuvent réduire la consommation d’énergie et les risques liés aux événements extrêmes tels que les vagues de chaleur, les inondations et les sécheresses, tout en générant des avantages connexes pour la santé et le bien-être.
Agir vite, mais en en pensant au long terme pour prévenir la « mal-adaptation »
Selon le rapport, « certains changements futurs sont inévitables et/ou irréversibles, mais peuvent être limités par une réduction profonde, rapide et durable des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. » Alors que la probabilité de changements abrupts et/ou irréversibles augmente avec l’élévation du niveau de réchauffement de la planète, les options d’adaptation qui sont réalisables et efficaces aujourd’hui deviendront limitées et moins efficaces avec l’augmentation du réchauffement climatique. Un nombre croissant de systèmes humains et naturels atteindront en effet leurs limites d’adaptation tandis que les pertes et les dommages augmenteront.
Les actions qui se concentrent sur des secteurs et des risques isolés ou sur des gains à court terme conduisent cependant souvent à une mauvaise adaptation à long terme, en générant de nouvelles situations de vulnérabilités, expositions et risques dont il est ensuite difficile de s’extraire. Par exemple, les digues réduisent efficacement les impacts sur les personnes et les biens à court terme, mais peuvent augmenter l’exposition aux risques climatiques à long terme. Cette « mal-adaptation » doit être prévenue par une vision de long-terme, ainsi qu’une planification et une application flexibles, multi-sectorielles et inclusives des mesures d’adaptation, avec des avantages connexes pour de nombreux secteurs et systèmes.
Les trajectoires mondiales modélisées par le GIEC qui parviennent à contenir le réchauffement à 1,5°C ou même à 2°C impliquent toutes des réductions rapides et profondes des émissions de gaz à effet de serre au cours de la présente décennie, et ce dans tous les secteurs. Les politiques appliquées fin 2020 par les États suggèrent pour le moment une trajectoire menant à un réchauffement global de 3,2°C en 2100. Le défi est majeur alors qu’environ 3,5 milliards de personnes vivent déjà dans des zones « hautement vulnérables » au réchauffement climatique, avec une mortalité 15 fois supérieure pour les inondations, les sécheresses et les tempêtes, et que des pénuries en eau sévères touchent la moitié de la population mondiale au moins une partie de l’année. Dans tous les cas, comme le rappellent les auteurs, « les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des répercussions aujourd’hui et pendant des milliers d’années. »