L’Agence Internationale de l’Energie vient de publier son rapport World Energy Outlook 2022. Dans un contexte de crise mondiale de l’énergie, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce rapport fournit des analyses détaillées et approfondies des conséquences possibles de cet évènement sur le secteur de l’énergie et revoit les projections de l’évolution du mix énergétique mondial pour atteindre nos objectifs de décarbonation. La flexibilité du système électrique y est qualifiée de « pierre angulaire » de la sécurisation des futurs approvisionnements en électricité, alors que les réseaux électriques supporteront l’essentiel de la transition énergétique.
Ce rapport présente et évalue trois scénarios de prospective jusqu’en 2050. Le premier, le scénario STEPS (Stated Policies Scenario) se base sur les politiques énergétiques déjà en place dans les États. Ce scénario ne permet pas d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (estimation des émissions de CO2 à 32 Gt par an en 2050 avec un maximum à 37 Gt en 2025) et conduit à une augmentation de la température moyenne terrestre à 2.5°C en 2100.
Le deuxième scénario, appelé APS (Announced Pledges Scenario) se base sur les politiques énergétiques annoncées par les gouvernements. En faisant l’hypothèse qu’elles seront appliquées, ce scénario ne permet pas non plus d’atteindre la neutralité carbone en 2050, mais les émissions de CO2 résiduelles en 20250 sont estimées à 12 Gt par an et cette valeur est réduite par rapport à celle évaluée l’an dernier dans ce même scénario. L’élévation de température en 2100 est évaluée à 1.7°C dans ce scénario, s’approchant de l’objectif de 1.5°C de l’Accord de Paris.
Le dernier scénario, appelé NZE (Net Zero Emission en 2050) se base sur des mesures proposées par l’AIE qui permettraient d’atteindre la neutralité carbone en 2050 si elles étaient adoptées par les gouvernements. Dans ce scénario, il est possible de limiter à 1.5°C l’augmentation de la température en 2100, les émissions annuelles de CO2 ne sont plus que de 23 Gt dès 2030 et continuent à baisser ensuite jusqu’à la neutralité carbone en 2050.
Selon l’AIE, la crise mondiale de l’énergie due à la guerre en Ukraine a permis une prise de conscience plus rapide de la nécessité de passer à des énergies décarbonées car les arguments économiques, écologiques et au niveau de la sécurité d’approvisionnement sont maintenant alignés en faveur de la transition énergétique. L’AIE relève déjà une accélération dans le passage aux énergies décarbonées, ce qui laisse présager une meilleure évolution de la situation que celle anticipée précédemment. Les deux scénarios les plus réalistes – STEPS et APS – donnent ainsi des résultats plus positifs en 2022 que lors de la précédente évaluation annuelle.
Néanmoins, l’AIE recommande aux États de travailler ensemble pour accélérer la transition vers des énergies décarbonées afin d’éviter de creuser les fractures déjà existantes (accès à l’énergie, impacts du réchauffement climatique…), qui risquent de générer de nouveaux conflits internationaux. Elle suggère donc la création d’une coalition internationale, la plus large possible, pour gérer cette transition afin que tous les pays puissent y avoir accès. Les rédacteurs du rapport pointent en particulier les inégalités très fortes d’accès au capital permettant de passer aux énergies décarbonées entre les pays riches où le financement de ce type de projet est relativement simple et les pays pauvres et émergents où l’accès au capital est moins aisé et plus coûteux. Le rapport souligne aussi la nécessité de faire appel plus massivement à des investisseurs privés pour financer la transition énergétique, les financements publics ne pouvant suffire à assurer des besoins de financement qui devraient atteindre 2 000 Mds de dollars annuels en 2030 dans le scénario STEPS et jusqu’à 4 000 Mds de dollars annuels dans le scénario NZE.
Les besoins massifs en électrification sont aussi pointés, quel que soit le scénario, avec un impact très fort sur la production électrique : ainsi, le scénario médian, APS, table sur une augmentation de la demande en électricité de 7 000 TWh d’ici 2030, l’équivalent de la demande des Etats-Unis et de l’Union européenne réunies ! Le scénario NZE table quant à lui sur une augmentation encore plus importante , de l’ordre de 150%, de la demande mondiale, tirée notamment par les véhicules électriques.
L’AIE alerte aussi sur la croissance très rapide de la demande due à l’expansion des systèmes de climatisation et son impact potentiel sur le réchauffement climatique. Même en considérant que les taux de pénétration de la climatisation dans les pays développés sont déjà élevés et n’augmenteront pas beaucoup, dans le scénario STEPS, la demande énergétique pour la climatisation dans les pays pauvres et émergents augmente de 2800 térawattheures d’ici à 2050 (équivalent à la consommation d’électricité actuelle de l’Union européenne). C’est pourquoi l’AIE insiste sur la mise en place de normes plus strictes encadrant l’efficacité énergétique des systèmes de climatisation et les performances énergétiques des logements, ce qui permettrait de diviser cette augmentation de la consommation par deux dans le scénario APS voire par quatre dans le scénario ZNE.
Autre inquiétude soulevée par l’AIE : la fragilité des chaînes d’approvisionnement, le rapport recommandant au monde « d’éviter de nouvelles vulnérabilités découlant de prix élevés et volatils des minéraux critiques ou de chaînes d’approvisionnement en énergie renouvelable très concentrées ». Cette mise en garde résonne particulièrement dans l’actualité, alors que l’Indonésie, pays riche en nickel, a appelé à la création d’une structure de gouvernance des minéraux critiques semblable à celle de l’OPEP. Selon les scénarios, la demande en matériaux critiques devrait être multipliée par 2 à 4 d’ici 2030. Le cuivre notamment devrait connaître une croissance très importante en volume, mais aussi le silicium et l’argent pour le photovoltaïque, plusieurs terres rares pour les moteurs d’éoliennes et le lithium pour les batteries. L’AIE souligne l’importance de soutenir l’innovation technologique et le recyclage pour atténuer les tensions sur les marchés des minéraux critiques.
La flexibilité du système électrique est par ailleurs qualifiée de « pierre angulaire » de la sécurisation des futurs approvisionnements en électricité, alors que les réseaux électriques supporteront l’essentiel de la transition énergétique. L’AIE appelle à engager des planifications à long terme du développement des réseaux électriques qui tiennent compte de la croissance de la demande en électricité, de l’expansion des énergies renouvelables variables, ainsi que des possibilités de numérisation.
Enfin, l’AIE affirme que les investissements dans les énergies renouvelables, les réseaux électriques intelligents et l’électrification devraient mener à une réduction rapide des émissions et à la diminution des prix de l’électricité. Selon le rapport, les taux actuels de déploiement des énergies renouvelables et de la mobilité électrique, s’ils restent à ce niveau, permettront d’accélérer la transition énergétique et de dépasser les prévisions du scénario STEPS (le plus réaliste) mais pour atteindre ces résultats, il est nécessaire que des politiques de soutien soient mises en place au-delà des pays où ces technologies sont déjà bien présentes.